Il y a fort longtemps, lorsque les quinquagénaires d’aujourd’hui usaient leurs culottes courtes sur le bois lustré des bancs de leur école ou sous la baguette réparatrice de leur régent courroucé, le livret scolaire était mensuel. Couplé aux phases de la lune, il livrait sa sentence chaque fois que tombait la page du calendrier que le boucher avait généreusement distribué afin de placer une fenêtre de paysages idylliques au cœur du carrelage mural des cuisines. On tressait des couronnes de 1 aux champions et les épines des 3 pointés se fichaient aux fronts des cancres. Le verdict était livré à domicile par la victime ou le héros et les parents enregistraient, sans être invités à discuter le bout de gras, le jugement des agents de l’institution. Ceux-ci distribuaient les salaires chiffrés des leçons apprises sans être guettés par les espions de l’équité docimologique. La vie coulait, les porteurs de 1 faisaient des études et les autres nourrissaient de leurs bras la gourmandise des usines.
Quelques années plus tard, un élan nouveau voit le trimestre étalonner les échéances. Le progrès est en marche, le temps pour enseigner précède la période d’évaluation. L’élève peut progresser sans être en permanence sur le grill des cases de son livret scolaire. Avec le temps, l’évolution se poursuit, le vent du perfectionnement pousse le train de l’évaluation jusqu’à la gare semestrielle. La vie est belle, on profite du climat sans avoir les yeux en permanence sur le thermomètre. C’est l’époque des projets et de l’homéopathie, la note remède perd des points. On peut apprendre pour savoir et pas pour faire une bonne note. On désintoxique les dépendants du 6 en les mesurant avec eux-mêmes. Le formatif se démocratise et met à mal l’empire du sommatif. Les enseignants digèrent à leur rythme ces pas vers le changement. Comme en cuisine, les estomacs sont inégaux mais les sveltes sont aussi professionnels que les enveloppés et il n’est pas nécessaire d’être bedonnant pour inspirer confiance. Le fleuve est trop tranquille, les pythies craignent le débordement et préparent la troisième correction. Leur outil de pilotage est scientifique. Trois lettres d’une abréviation anglaise (ISM) lui confèrent tous les atouts du management idéal. La note accordée est maintenant postée sur la toile vers une galaxie qui générera, au moment choisi, l’alchimie savante des résultats chiffrés. Deux fois par an, l’invisible prendra forme et l’élève recevra son certificat. Est-ce suffisant ? Certes non, il en faut plus, le pilotage veut savoir en permanence où il va. Il réclame des bulletins intermédiaires. Les courses de ski nous en ont donné l’exemple, nous sommes à l’heure du temps intermédiaire. Que faut-il dire ? Comment mettre en forme les informations ? Le débat n’est pas clos et la piste idéale n’est pas encore trouvée. Cependant, la communication vers l’extérieur n’est plus semestrielle, elle fleurit quatre fois par année. Le changement climatique est passé par là.
Nos collègues de 1ère CO expérimentent cette année un modèle de communication des résultat aux parents. Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’est pas marqué du sceau de la simplicité. Il peut même revêtir certains aspects contradictoires. Un groupe de travail vient d’être mis sur pied pour apporter d’indispensables corrections au processus. Les deux premiers cycles sont associés à cette réflexion dont les enjeux sont très importants. Pour nourrir la réflexion, les représentants de la SPVal apporteront leurs interrogations. En voici un aperçu : L’obsession du résultat à atteindre et les dates choisies pour communiquer des notes permettent-elles les indispensables erreurs qui mènent les élèves vers les acquisitions progressives et tâtonnantes émaillant les apprentissages et construisant les savoirs ? Les procédés techniques d’évaluation utilisés par les professionnels de l’enseignement doivent-ils tous générer une communication vers l’extérieur ? Les remarques des enseignants qui accompagnent les notes peuvent-elles dépasser la forme du simple constat répété aux parents année après année et prendre la forme de propositions concrètes de remédiation ? La mise en place de documents d’évaluation compliqués et chronophages est-elle garante de la qualité de l’enseignement ? Avant de s’occuper des modalités de communication de la note, ne serait-il pas nécessaire de mettre en place, en amont, des banques d’items permettant aux enseignants de construire des épreuves correspondant à leur rythme de travail et répondant à un niveau d’exigence harmonisé au niveau cantonal ? Est-il nécessaire de s’interroger sur les attentes de la majorité des parents dans la communication du suivi des apprentissages de leur enfant ? Comment différencier l’évaluation dans les trois cycles de l’école obligatoire ?
Toute cette réflexion devra évidemment être menée en parallèle avec les travaux de rédaction de la future loi sur l’école primaire.
Le toit d’une maison est toujours plus visible que ses fondations, le livret scolaire est également plus visible que toutes les tâches entreprises pour guider l’élève sur le long chemin des apprentissages. Il s’agira pourtant de poser les tuiles au bon moment et de veiller à ce que le temps passé à poser les briques soit plus important que celui passé à expliquer comment on les pose.
Didier Jacquier
Président SPVal