Un fil rouge à la patte ?
Dans la pharmacopée pédagogique, beaucoup de manuels scolaires jouent les distributeurs de compétences. Le rôle de l’enseignant se borne-t-il à définir la juste posologie qui conduira l’élève à digérer, au fil des mois, les chapitres successifs des moyens d’enseignement ? Pour reprendre le parallèle avec le monde médical, une telle approche reviendrait, pour un médecin, à délivrer la même ordonnance à tous ses patients. Les élèves n’étant pas des malades à soigner, il est inutile de poursuivre une comparaison boiteuse en développant de fumeuses métaphores.
Sur le terrain de jeu des alchimistes du savoir, plusieurs approches cohabitent. Ce billet, hautement subjectif, nullement scientifique et purement provocateur se bornera à une analyse binaire.
D’un côté, observons les fidèles serviteurs des moyens d’enseignement, ces ascenseurs à indéniables progressions. Chez eux, les pistes proposées dans les manuels sont érigées en facilitation des apprentissages à travers des activités ludiques ou focalisatrices d’intérêt. La démarche est programmée, l’improvisation rare et le cheminement codifié. On explore peu et les découvertes sont planifiées voire obligatoires. Les pas du découvreur se calquent dans la foulée du guide. Les surprises sont fortuites, le mentor ne salivant qu’à la pratique de recettes maintes fois testées. Le promeneur en apprentissage ne peut tourner la tête que dans la direction du doigt de son guide. Il est condamné à la réponse attendue et blâmé s’il s’en écarte. Le chemin est tracé, la progression sous pression. La piste des initiations ne connaît qu’une voie : la verticale du tube du thermomètre de l’évaluation. Les déviances sont exceptionnelles car le verre est épais. Pourtant, les échecs balisent le parcours des indifférents qui peinent à s’enthousiasmer. Nous sommes dans la pédagogie du voyagiste japonais : les photos sont les mêmes dans tous les appareils et les souvenirs ne se capturent que sur les étals des boutiques.
En face, tentons une percée chez les rebelles, les vaccinés des barricades qui peinent à obéir lorsque la route leur est trop ostensiblement tracée. Nous trouvons des chercheurs qui s’ignorent et des explorateurs gourmands parmi les adeptes de la pyrotechnie pédagogique. Ces tueurs de fils rouges privilégient l’approche pointilliste. Les découvertes illuminent le ciel ici ou là. L’addition d’une foule de flashs imprimera le tableau des connaissances et construira la toile dans laquelle on taillera la personnalité. La classe devient ruche et on fait saliver les butineuses devant l’immensité des curiosités à assouvir. L’erreur perd son statut de faute et devient raison de nouvelles recherches. Avant de devoir désherber son jardin, l’élève a d’abord mission d’y faire pousser quelque chose. Les graines pullulent autour du petit jardinier, charge à lui de produire des semis. Dans cette entreprise, le patron de la classe doit savoir où il va. Mais, d’abord, une intarissable source de confiance doit l’abreuver. Les libertés qu’il s’accorde pèsent peu face aux constants soucis liés à l’élaboration de palettes d’activités propices à l’harmonie des apprentissages. La mesure des progressions reste une préoccupation constante. Pourtant, l’heure des bilans ne sonne pas en permanence et du temps est donné pour laisser leur chance aux boutures, l’évaluation ne confondant plus échec et fléchissement de croissance.
Chacun sachant que tout n’est jamais totalement noir ou exclusivement blanc, nous voilà bien avancé à l’approche de la conclusion. Personne ne se reconnaîtra complétement dans les descriptions caricaturales développées ci-dessus et c’est heureux. La galaxie des enseignants est diverse et de multiples portraits garnissent la galerie. Vouloir éviter une trop grande ressemblance avec une caricature devrait permettre à chacune et à chacun de donner des couleurs nuancées à l’image que les élèves garderont des jardiniers qui ont permis leur épanouissement.
Didier Jacquier
Président SPVal