Lettre à un parent qui me confie son enfant
Chaque matin, dans le nid familial, un enfant se prépare pour partir à l’école. Il ne sait pas, le petit que vous embrassez sur le pas de la porte, que le bisou matinal le transforme. Les bretelles du sac à dos et le chemin de l’école font de lui un élève. Votre enfant devient mon élève. La mue quotidienne est invisible mais ce n’est plus tout à fait votre petit qui gravit l’escalier de son école. En quelques minutes, une opération mathématique a modifié son rapport à l’environnement. Le numérateur de sa fraction personnelle n’a pas changé mais le dénominateur a pris l’ascenseur. Le 1/3 ou le 1/4 qui constitue son rapport au monde dans la sphère familiale passe à des valeurs comprises entre 1/20 et 1/25. Si votre regard de parent a un risque sur deux ou trois de ne pas voir correctement la réalité, le mien rencontre, par la logique de la multiplication, vingt fois plus de dangers de ne pas atteindre le centre de la cible. Sans nous inquiéter outre mesure, ce constat nous incite à faire preuve de modestie.
L’école doit offrir le meilleur à tous ses élèves. Je dois donc essayer d’être équitable en permanence, sagace en toutes circonstances, habile dans mes choix et perspicace dans mes évaluations. C’est le métier que j’ai choisi, je n’ai pas à me plaindre de ses exigences. Dans le métier de parent, à une échelle plus restreinte, vous allez vous frotter aux mêmes difficultés. Nos missions sont certes différentes mais nos ambitions sont les mêmes. Il est donc indispensables que nous confrontions nos attentes afin d’éviter la déception et l’incompréhension. L’instruction tient une grande place dans le viseur du professionnel que je suis. Elle n’est pas absente de vos envies de parent. Faut-il la dissocier de l’éducation ? Je ne le pense pas. Si celle-ci est prioritairement de la responsabilité familiale, la personne qui, durant la semaine, passe plus de temps que vous en compagnie de votre enfant ne peux pas négliger d’œuvrer à la construction de sa personnalité. Nous sommes donc condamnés à nous entendre pour atteindre notre but commun. L’expérience nous apprend que la coresponsabilité nécessite un gros effort de communication. Des écueils seront écartés en évitant de prendre systématiquement pour argent comptant les explications enfantines lors des inévitables situations de conflit. Dans ces cas-là, il est utile de faire appel à sa mémoire pour revivre les explications, qu’enfants, nous donnions à nos propres parents. Sans choisir le mensonge, il existe une multitude de façons de se justifier dans une situation délicate. Il est donc capital de conserver ouverte une relation d’adulte à adulte et de se méfier de la communication indirecte comme des on-dit ou des rumeurs. Le tâtonnement et les erreurs sont des composantes indispensables à la mise en place des apprentissages. Nous devons donc accorder à votre enfant le droit de se tromper. Voir la réussite au bout du chemin et non pas dans chacun des gestes quotidiens évitera la mise en place d’inutiles pressions et de leur cortège d’effets indésirables. Stress et tension ne favorisent en aucun cas l’épanouissement. Dans ce domaine, notre vie d’adultes contemporains ne représente pas toujours le meilleur des exemples. La confiance est un autre facteur de réussite pour les apprentissages. Faisons confiance à votre enfant et responsabilisons-le dans toutes les missions que nous lui confierons. Si elle n’exclut en aucun cas le contrôle et le suivi, la confiance que nous lui accorderons favorisera la mobilisation de ses ressources et lui permettra de croire en lui dans les situations quotidiennes mais aussi dans les moments difficiles. Cette confiance accordée à l’enfant en devenir, nous devons également la développer entre nous afin que le respect mutuel devienne une force qui nous pousse et nous invite à avancer. L’organisation scolaire de l’école publique ne permet pas aux parents de choisir à qui ils confient leurs enfants. Cet état de fait ne doit pas nous empêcher de collaborer pour mieux comprendre et accepter nos imperfections et tirer parti de l’addition de nos qualités. Dans cet esprit nous rendrons l’école meilleure et nous lui donnerons plus de chances pour remplir sa mission.
Didier Jacquier
Président SPVal