Il était bon partout… L’affirmation fleure bon l’épitaphe surannée. Pourra-t-on encore la graver sur la pierre ou l’écrire dans les hommages rendus au milieu du XXIème siècle lorsque les braves praticiens d’aujourd’hui mettront progressivement à gauche l’arme pédagogique ? Généraliste, mais bon partout : le défi est lancé. La société évolue, elle veut de la performance et vise l’excellence. Il faut du pointu dans tous les domaines. Toi, le formateur de nos têtes blondes, tout te condamne à être bon. Prépare les recettes du futur, c’est ta mission. Ne réclame pas de modifier les règles, on ne change pas une équipe qui gagne ! Bon soldat, le généraliste se projette dans l’avenir en chaussant ses lunettes rose bonbon. La bonbonnière devient boule de cristal et livre ses secrets : la communication langagière utilisera le bon français, le bon allemand, et l’anglais comme James Bond. Les mathématiques nous verront tirer le bon numéro pour que le compte soit bon. Le repérage géographique prendra la bonne direction et tous les pays seront en bon Etat. L’histoire parlera des bons souvenirs, l’éducation à la citoyenneté du bon parti et des bonnes mœurs. La science classera chaque être au bon endroit, tous les oiseaux seront de bon augure. La musique mettra tout le monde sur la bonne voix. La catéchèse évoquera le Bon Dieu de bonne foi et toute vérité sera bonne à dire aux hommes de bonne volonté ; pour propager la bonne parole, chacun jouera au bon apôtre et nous serons tous de bonnes âmes ou de bons samaritains. A la piscine l’eau sera bonne et en gymnastique, l’athlétisme mettra les enfants sur la bonne piste. L’école intégrera des élèves de bonne famille, donnera bonne conscience à chacun et distribuera les prix de bonne conduite. La formation continue sera organisée à la bonne franquette mais les enseignants la suivront pour un bon bout de temps. Les inspecteurs seront de bon conseil et de bons diables ; ils auront un bon mot lors de chaque visite. Pour le médecin scolaire tous les écoliers auront bon pied bon œil, de bonnes dents et une bonne santé, il les déclarera bons pour le service même en cas de bon rhume. Tous les moyens d’enseignement seront de bonnes méthodes et parleront de ce qui est bon à savoir. Les élèves recevront de bonnes leçons et donneront le bon exemple ; il n’y aura plus de bons à rien. Pour couronner le tout, le budget du DECS ne se satisfera pas des formules bon marché, son Chef sera bon prince et aura les enseignants à la bonne.
Cessons là la répétition, l’abus, l’outrance, l’excès, la redondance et la surenchère. Venons-en enfin au sujet du billet : quand sommes nous bons et quand ne le sommes-nous pas ? De récentes expériences ont apporté des réponses surprenantes. Lorsqu’on intègre un élève différent et que l’on appelle au secours devant la difficulté de la tâche, la réponse tombe avec une invariable régularité : nous sommes bons et nous accomplissons des prouesses pédagogiques que nul autre ne saurait mettre en œuvre. On dévie en corner et on flatte ; après la méthode Coué, c’est la méthode Step : tout à l’égo. Par contre, dans d’autres occasions, en langue ou en informatique, on vénère l’autoévaluation. Là, les réponses sont différentes ; on assure la promotion de la collection des ouvrages pour les nuls. « T’as pas le niveau coco, va falloir te mettre au boulot. »
S’il fallait convoquer La Fontaine pour tirer une morale à cette histoire que nous dirait le fabuleux fabuliste ? Une formule lapidaire et sage coulerait de sa plume, quelque chose du genre : « Qui trop flatte la maîtrise finit ses jours en crise. » Il nous reste donc à tout faire pour que le reste de la fable ne soit jamais écrit. Acceptons nos limites, partageons nos missions et allons jusqu’au bout d’un investissement raisonnablement négocié avec nos autorités. Nos élèves nous trouveront bons si nous arrivons devant eux disponibles et motivés. N’est-ce pas là l’essentiel ?
Didier Jacquier
Président SPVal