"Un enfant différent dans la classe" (NF, 11.11.13)
"Je suis avec Manon depuis la première enfantine. Je la connais bien maintenant. Je la comprends et on peut communiquer avec les gestes" , raconte Sacha, nullement impressionné par les cris lancés parfois par Manon. "Je me bouche les oreilles! Avant de connaître Manon, j'avais peur des personnes comme elle. Je me cachais derrière ma maman quand on en rencontrait dans la rue. Aujourd'hui, je n'ai plus du tout peur." CSA
14 h 45. L'heure de la récréation. A l'école enfantine et primaire de Saxon règne un parfum de fête. Les enfants se réjouissent d'avoir quelques minutes pour se défouler. Une cour de récré comme toutes les autres. Dans le bâtiment, les classes se ressemblent. Sur chaque porte figure le nom de l'enseignant. Au troisième étage, un rollator est posé devant l'une des portes, seul indice qui distingue cette classe de 4e primaire des autres. C'est là que se rend Manon, une fillette handicapée de 10 ans, tous les vendredis après-midi pour suivre les cours dans une classe "normale".
"Un rayon de soleil"
Soudain, Manon apparaît dans le couloir au bras de Katia Santos Figueiras, l'éducatrice spécialisée de l'institut Notre-Dame de Lourdes qui suit la fillette depuis cinq ans. "Je l'amène tous les vendredis après-midi ici et l'accompagne pendant les cours" , explique la professionnelle. L'enseignante de la classe, Suzanne Fink Canossa s'approche du duo. " Alors Manon, prête à rejoindre les autres à la récré?" La fillette s'installe derrière le guidon de son rollator avec enthousiasme et se précipite dans la cour.
Pour l'enseignante, comme pour ses élèves, le vendredi après-midi a une autre couleur que le reste de la semaine, grâce à la présence de Manon. "C'est notre rayon de soleil ce jour-là. Je vois d'ailleurs les enfants heureux lorsque Manon est là." La récréation à peine achevée, les premiers enfants de la classe arrivent en courant pour la prochaine étape de la journée: passer un moment quasiment en tête à tête avec Manon. Pour faciliter la vie de la classe, des ateliers de 4 élèves sont organisés avec Manon et son éducatrice dans une petite salle. "Tous font des petits jeux de socialisation et apprennent des nouveaux signes pour communiquer avec Manon."
Soutien gestuel
Le premier groupe de quatre élèves se rend alors dans la petite salle pour jouer avec Manon. Commence ensuite le rituel des salutations de bienvenue. "Bon-jour-je-m'a-ppelle-A-na ", énonce une fillette en accompagnant chaque syllabe d'une tapette sur sa poitrine. "Ce soutien gestuel est le moyen qu'on a trouvé pour que Manon comprenne ce qu'on dit. Si on prononce la phrase sans scander les syllabes, elle est perdue ", explique Katia Santos Figueiras.
Manon parvient, elle aussi, à saluer ses camarades et donner son prénom, par la même méthode. Au fil des mois, les élèves ont appris plusieurs mots par signe et font des phrases pour communiquer avec Manon. "Avec les gestes, on arrive à rigoler ensemble, c'est trop bien cette année" , souligne Nathan.
Créer le lien par des jeux
Au cours de l'atelier, qui dure une vingtaine de minutes pour chaque groupe, l'éducatrice spécialisée fait le lien entre tous, par des jeux et des lectures. "Votre groupe avait-il déjà fini le livre du Docteur Rêve?" , demande-t-elle. " Non, on avait juste commencé" , répond Nyssa. Katia Santos Figueiras sort alors le petit livre et commence la lecture pour tous. "Oui, tu pourras prendre le bouquin dès que j'ai fini", rassure-t-elle Manon, impatiente de toucher le livre.
Au bout du quatrième et dernier atelier de l'après-midi, Manon ne cache pas sa fatigue. Elle se lève souvent et peine à se concentrer sur l'activité proposée par l'éducatrice. Soudain, agacée, elle crie à pleins poumons. Katia Santos Figueiras la calme immédiatement en parlant avec elle. "Cela arrive en fin de journée, mais comme je la connais bien, j'arrive à l'apaiser." Devant la petite crise de Manon, les autres élèves ne semblent guère effrayés. "Quand elle crie trop fort, je me bouche les oreilles et ça passe" , raconte Gilian.
16 h 15. Tous les élèves se retrouvent dans la salle de classe pour le traditionnel bilan. Chaque enfant lève la main pour dire s'il a passé une bonne journée ou pas. Sur les dix-neuf élèves, seul l'un d'entre eux est peu satisfait de son vendredi. " C'est juste parce que j'aime pas l'école" , justifie-t-il. Tous les autres sont heureux de cette dernière journée de la semaine grâce à la présence de Manon, affirment-ils. " J'aime bien quand elle est là ", conclut simplement Nyssa.
Source : lenouvelliste.ch