"Où va notre école ?" (1dex.ch, juillet 2015)
Partie 1
"Au travers d’ un excellent article paru dans le Nouvelliste du samedi 13 juin, Vincent Arlettaz, musicien et professeur, nous invite à nous rendre sur le site du Ministère Français de l’Education Nationale dont les réformes programmées sont à l’origine de quelques articles parus précédemment sur L’1Dex.
Nos amis de l’Hexagone nous avaient déjà bien amusés avec leur « référentiel bondissant » (le ballon) et leurs « techniciennes de surfaces » (nettoyeuses de classes) ou le terme « géniteurs d’apprenants » (si,si, c’est officiel) qui remplace désormais l’appellation : parents.
Ce voyage médiatique (5 étoiles au Michelin) vaut largement le détour. Jugez plutôt.
Education physique :
« Compétences et attendus : se déplacer de façon autonome, plus longtemps, plus vite, dans un milieu aquatique profond standardisé. S’immerger, construire la capacité à s’équilibrer sans avoir pied. Construire la capacité à traverser l’eau avec le moins de résistance en équilibre horizontal par immersion prolongée de la tête. Construire le corps propulseur pour nager longtemps ».
Traduction en français courant : apprendre à nager.
Les adeptes des « Précieuses Ridicules » peuvent revoir leurs classiques, baisser le rideau et se rhabiller. Avouez qu’en termes de masturbation intellectuelle, on peut difficilement faire mieux. Onan lui-même passant ici pour un apprenti de première année.
S’il est jouissif de détecter la paille dans l’œil du prochain, il est bien plus difficile d’équarrir la poutre qui aveugle le sien.
Depuis quelques années, nos écoliers sont élevés au nom du PER (Plan d’Etude Romand). Sont apparus des exégètes, véritables Témoins de Jéhovah, qui analysent ces découpages de la matière à la virgule près. Gare à l’enseignant qui s’écarterait ne serait-ce que d’un iota de ces nouveaux textes sacrés. Il encourrait sine die les foudres académiques.
Certes, la logorrhée de nos voisins tricolores prête à sourire. Cependant, notre PER, bien que n’ayant à priori aucune accointance maritime, possède également son lot d’ huîtres perlières.
Petit aperçu, non exhaustif :
« L’Éducation physique vise à enrichir le répertoire moteur. »
« Les axes thématiques choisis pour décliner l’Éducation physique sur l’ensemble de la scolarité obligatoire isolent artificiellement des objectifs et activités qui se pratiquent souvent de manière coordonnée et intégrée dans des démarches pédagogiques globales »
« La focalisation porte d’abord sur la gestion mathématique de la situation qui commence par son épuration et continue dans le traitement mathématique du problème ainsi défini. »
« Ce traitement a lieu après la modélisation, souvent liée au contexte, et s’organise en essais-erreurs, ajustements, généralisation, formulation d’une conjecture et validation de celle-ci par une démonstration mathématique. »
« La présence d’une multiplicité de langues dans l’école et, plus largement, dans l’environnement quotidien des élèves implique une approche plurilingue des langues. »
« La progression est également visible lors de la mise en œuvre où, de fait, les élèves agissent avec les connaissances et la maturité acquises au fil des ans par le contact des outils technologiques »
« La multiplicité des contextes contribue à appréhender les spécificités du débat en fonction de la situation des enjeux.
« On privilégiera l’exploration des langages artistiques à travers le processus créatif (motivation, recherche et manipulation, choix, action) en utilisant les possibilités expressives d’outils ».
« L’analyse du phénomène de groupe par opposition à l’action individuelle, la réflexion sur les valeurs véhiculées et la description d’éléments extérieurs (habits, attitudes, musiques, langages,…) rendent un groupe identifiable »
« La capacité à collaborer, axée sur le développement de l’esprit coopératif et sur la construction d’habiletés nécessaires pour réaliser des travaux en équipe et mener des projets collectifs »
Comme devoir de vacances, je vous laisse le soin de traduire dans le langage qui vous semblera le plus approprié.
En ces périodes troublées ou le dimorphisme sexuel est souvent âprement discuté (sait-on encore à quel sein se vouer ?), j’encourage vivement tous les parents (père-mère / mère seule / père seul / mère-mère / père-père) à suivre d’un peu plus près ce qu’il se passe dans nos classes et à analyser de manière plus approfondie la complexité organique de l’eau dans laquelle on voudrait que nos bambins apprennent à nager.
Je vous souhaite « Un ressourcement physique et mental axé sur vos compétences transversales et langagières propres à rencontrer et à vous entretenir avec des autochtones vous incitant à la découverte des spécificités géo politico climatiques de contrées lointaines ou non dont vous aurez préalablement conçu la ou les visite(s) au moyens d’outils informatiques adéquats ».
En clair : bonnes vacances !"
Partie 2
"Mon article du 23 juin dernier avait suscité le commentaire suivant de la part de Nicolas Bressoud, enseignant que j’apprécie à sa juste valeur, par ailleurs.
« T’es quand même pas en train de devenir un vieux réac« .
Ayant passé deux semaines hors d’Helvétie, je n’ai pu y répondre de suite, ce qui ne m’a pas empêché pour autant d’y réfléchir abondamment.
Vieux ? Assurément. Oui, à quatre ans de la retraite et à l’aube de ma 37ème rentrée scolaire, je suis effectivement ce que l’on peut appeler un vieil enseignant. Ce qui ne m’empêche pas d’aimer toujours autant la profession que j’ai choisie et que je crois encore servir au plus près de ma conscience. Avec l’âge, je suis même devenu certainement bien plus perfectionniste qu’au temps de ma jeunesse folle. Je m’attache également davantage aux élèves qu’on me confie et suis plus à leur écoute, partant, plus humain. Le fait d’être deux fois grand-père y est peut-être pour quelque chose.
Réac ? Je ne le sais pas. Dans réac, il y a un part de réaction, n’est-ce pas? Alors, oui, dans ce sens, j’ai réagi. En fait, je suis plutôt inquiet pour l’avenir de notre jeunesse. Perplexe, au vu de tous ces changements didactiques et méthodologiques dont je peine à cerner les finalités subtiles (peut-être trop subtiles pour un esprit aussi simple que le mien) et surtout dont j’ai de la peine à voir, pour l’instant, les améliorations et les plus-values qu’elles sont censées apporter à nos élèves. Dubitatif, lorsque j’analyse la somme d’investissement que j’ai mise, de mon plein gré, pour essayer d’éduquer (dans le sens d’élever) le niveau de mes élèves et que l’on voudrait maintenant jeter aux orties. Faire tabula rasa du passé pour céder à toutes les sirènes du changement à tout prix. Curieux, de voir in fine ce que cela donnera vraiment. Sachant que si ce devait être négatif, on ne pourrait de toute façon plus revenir en arrière, sacrifiant ainsi une génération d’enfants.
A la suite de l’article du 23 juin, j’ai reçu plusieurs témoignages d’enseignants qui me disaient être en totale adéquation avec ce que j’y avais écrit. Un collègue s’étant même fendu d’un retour écrit dont je ne puis résister ici à vous transcrire le propos, tant il éclaire le débat.
« Stéphane, merci d’avoir osé écrire tout haut ce que beaucoup d’entre-nous pensent tout bas. Nous, les enseignants primaires, les mal-aimés du système scolaire, nous cultivons l’art de l’omerta professionnelle. En toutous bien dressés, nous faisons là où et quand on nous dit de faire. Par crainte de l’opinion publique, par notre soumission à toute forme d’autorité, par la féminisation de notre profession, nous osons de moins en moins réagir. Avec le temps partiel qui se généralise, (note personnelle : dans le Valais romand, il n’y a plus que 20% d’enseignants à plein temps, au niveau primaire) cette loi du silence va devenir une règle absolue. Les récents déboires de notre président de la SPVAL avec le chef du département ont encore accentué cette gêne. La ballade des savoirs a permis de redorer quelque peu notre blason auprès d’une partie de la population, mais reflète-t-elle la réalité de notre quotidien en classe ? J’en doute.
Je crains pour notre profession que j’aime et dont je sens qu’elle nous échappe de plus en plus. »
Réac, moi ? En tous cas pas si seul. Ainsi, lorsqu’on ne dit pas oui et amen à tout dans le domaine de l’enseignement, on est réac ? Lorsqu’on n’est pas entièrement d’accord avec ceux qui croient devoir penser pour nous, on est réac ?
Par le passé, j’ai déjà vécu ce sentiment désagréable, déjà connu cette gêne indéfinissable, sournoise et angoissante qui vous rend méfiant et peu loquace. C’était en juin 1982, en pleine guerre froide. Je foulais pour la première fois le territoire soviétique …"
Sources :
- partie 1, Stéphane Bianchi, 1dex.ch, 23 juin 2015
- partie 2, Stéphane Bianchi, 1dex.ch, 7 juillet 2015