Manifeste pour l'école de M. le Conseiller d'Etat O. Freysinger
L'école, c'est le futur (par O. Freysinger)
Si nous «remettons l’église au milieu du village», l’école se trouvera forcément juste en face, ou à côté. Dans une société laïque, elle devrait même prendre la place centrale. L’école est la pépinière et le moule de ceux qui porteront le monde que nous sommes en train de construire. Elle est à la civilisation ce que les semailles sont au paysan : la promesse de la récolte à venir, sans laquelle il ne pourra manger à sa faim. Promesse ne vaut pas garantie : la grêle peut venir, la sécheresse brûler les champs. Mais si l’on ne sème pas la bonne graine, et si on ne la sème pas bien, les aléas du climat n’auront plus aucune importance. La disette est garantie quoi qu’il arrive…
Nous avons tendance à négliger ce rôle central de l’école, comme si nous-mêmes, pour arriver là où nous sommes, nous n’avions pas été patiemment formés par les efforts continus de générations de professeurs dévoués et de pédagogues attentifs. Nous le négligeons de deux manières : en refusant à l’école les moyens de sa tâche, ou en l’utilisant comme un laboratoire où des êtres humains en devenir sont traités en cobayes. Dans toutes les professions sensibles, il existe des règles de précaution sévères. La certification d’un avion ou d’un vaccin prend des années avant sa commercialisation. Les théories scolaires parascientifiques, elles, sont appliquées en grandeur nature sitôt qu’une administration cède au snobisme de l’innovation et transforme ses élèves en testeurs involontaires.
Aucune assurance ne rembourse le manque à gagner de ces générations qui arrivent à l’âge adulte sans savoir convenablement lire, calculer et s’exprimer. Qui partent dans la vie avec un handicap qu’on leur a caché.
Au lendemain de la révolution d’Octobre, la Russie a été soumise, une douzaine d’années durant, à des expérimentations d’une remarquable ressemblance avec les théories en vogue chez les pédagogistes d’aujourd’hui : «l’enfant au centre», l’«autogestion du savoir», etc. Contraint par la crise et les menaces extérieures de redescendre sur terre, l’Etat soviétique a brutalement mis fin à l’expérience pour revenir à l’enseignement des matières de base : langue maternelle, histoire, mathématiques, physique… Sans cette volte-face, la Russie n’eût jamais vaincu Hitler ni envoyé le premier homme dans l’espace. Sans compter le bagage scientifique, artistique et culturel qu’elle a réussi à préserver malgré la folie idéologique de son régime.
Chez nous, en Occident, nous n’avons pas voulu saisir cette leçon. Non contents d’émietter le savoir, nos pédagogistes s’emploient aussi à miner et en détruire les outils d’évaluation. Ceci au moment où les pays émergents comme l’Inde ou la Chine forment chaque année, par des méthodes éprouvées, des centaines de milliers d’ingénieurs, de médecins… ou de professeurs hautement compétents. Le jour où nous serons évincés de toutes les aires de la connaissance de pointe, nous n’aurons peut-être même plus les moyens intellectuels d’évaluer notre naufrage.
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Notre canton a longtemps souffert de son enclavement. Il a compensé les rudesses de la géographie et du climat par une formation exigeante et pragmatique. Les grands changements sociaux, culturels et technologiques auxquels il doit faire face ne doivent pas lui faire renier les principes de base de son instruction, mais l’inciter à les adapter et les affiner.
Les grands pionniers de l’instruction publique, ici comme dans toute l’Europe, n’étaient pas des obscurantistes mais des humanistes et des démocrates. Ils savaient que démocratie et formation allaient de pair. Comme eux, nous voulons une école garante de liberté et non de servitude. Comme eux, nous voulons une école au centre du village, et non dans un quartier périphérique. Comme eux, je m’engage à faire de l’école un sujet central de nos préoccupations et de nos efforts communs. La restriction budgétaire qui m’est imposée actuellement touche au cœur l’enseignant que j’ai été pendant vingt-sept ans. Contraint par les règles de la démocratie, je m’y plie à contrecœur cette fois-ci encore, car je pense honnêtement avoir évité le pire. Mais au prochain exercice de ce genre, j’entrerai en résistance avant que l’irréparable ne se produise. Le Valais mérite mieux qu’une école au rabais élaguée par des économies de bout de chandelle.
Oskar Freysinger
Conseiller d’Etat
source de l'article : ici (page consultée le 17.02.14, 7h40).
Illustration : illustration d'origine du site ofreysinger.ch (page consultée le 17.02.14, 7h40)
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"Nul besoin de mettre en place au CO de coûteuses et sélectives prégymnasiales" (NF du 20.2.14 par M. Cleusix). Si monsieur Cleusix exprime la volonté de concrétisation du manifeste d'OF, cela signifie que la revalorisation de la formation passe par la suppression des passerelles et des filières intermédiaires. Que les meilleurs gagnent et que les autres se débrouillent comme ils peuvent (sans filières intermédiaires, sans passerelles, sans appui et possibilité hors de la filière académique d'atteindre les Hautes Ecoles). On formera d'excellents cadres "soviétiques" ...et on renverra les autres sur les CFC, les AFP et les emplois non qualifiés. Une société à deux vitesses, celle de nos grands-parents.