"L’idée de dénoncer les enfants sans-papiers scolarisés dérange" (Le Temps, 5 janvier 2011)
Le casse-tête des sans-papiers qui, bien que sans statut légal, cotisent parfois à l’AVS agite la Berne fédérale. En mars, Eveline Widmer-Schlumpf, alors cheffe du Département de Justice et Police, s’était élevée contre cette situation devant le parlement. «Je ne tolère pas cela», avait-elle déclaré au National, après avoir rappelé que, dans certains cantons, une carte AVS était délivrée à des sans-papiers. A l’époque, l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) n’avait pas réagi. Mais voilà que, comme l’a rappelé le Tages-Anzeiger mardi, un groupe de travail interdépartemental s’est mis en quête d’une solution. «Il y a en fait eu jusqu’ici deux séances entre l’Office fédéral des migrations et l’OFAS», tempère l’ODM.
Pour l’instant, les autorités responsables des migrations et celles chargées des assurances sociales n’échangent pas leurs informations. Et le formulaire d’inscription permettant de bénéficier de l’AVS ne demande pas si l’étranger est en situation irrégulière ou non: l’employeur doit juste exiger d’eux des documents d’identité. Voilà deux choses qui pourraient changer.
Le Conseil fédéral a évoqué ce dossier lors d’une séance le 22 décembre et un rapport est prévu pour fin 2011. Il réfléchirait aussi à d’autres moyens pour dépister les sans-papiers, notamment en serrant l’étau du côté des écoles, a relevé la Zentralschweiz am Sonntag. Ce point est plus controversé et délicat.
Peut-on exiger des écoles qu’elles se muent en polices des étrangers pour dénoncer les enfants sans-papiers, et prendre ainsi le risque de provoquer leur déscolarisation? Ou de dissuader des parents en situation illégale d’envoyer leurs enfants se former?
Pour le conseiller national UDC Oskar Freysinger, la réponse est clairement oui. «Cette mesure me semble parfaitement légitime. J’avais d’ailleurs envisagé une intervention parlementaire en ce sens. Il est intolérable que l’Etat ne soit pas informé des personnes résidant de manière illégale sur notre territoire», commente-t-il. Lui-même enseignant dans le secondaire, il n’a encore jamais été confronté à la problématique.
Depuis 1991, la Conférence des directeurs cantonaux de l’Instruction publique recommande à tous les cantons de scolariser les enfants de sans-papiers. La Suisse a aussi ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant, en 1997: son article 28 prévoit que les enfants ont droit à une formation, qu’ils soient clandestins ou pas. Le Conseil fédéral a aussi précisé en février, dans une réponse à une motion d’Antonio Hodgers (Verts/GE), que «les enfants peuvent fréquenter l’école de base en Suisse, quel que soit leur statut. […] Les cantons sont tenus en vertu de l’article 62 de la Constitution fédérale de pourvoir à un enseignement de base suffisant ouvert à tous les enfants en évitant la discrimination». Autant d’obstacles qui pourraient dissuader le gouvernement d’aller plus loin.
«Concernant l’AVS, je ne pense pas que la mesure envisagée changerait grand-chose: les employeurs sont déjà hors-la-loi en recourant à des illégaux et ces derniers cotisent sans toucher les rentes, sauf exception. Ce sont donc surtout les caisses de l’AVS qui y perdraient», commente Antonio Hodgers. Il juge par contre la proposition concernant l’école «bien plus grave». «Comme dans les années 60 et 70, on se retrouverait avec des enfants enfermés chez eux et non scolarisés. Car la plupart des sans-papiers préféreraient cacher leur enfant plutôt que quitter le pays. La Suisse engagerait clairement sa responsabilité internationale vis-à-vis de la Convention des droits de l’enfant. Ce serait un retour en arrière inacceptable.» (Von Graffenried)