"L’évaluation sans fin des écoles romandes" (letemps.ch)
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Avant PISA, les écoles suisses ronronnaient dans leur conviction d’excellence, sans disposer d’aucun élément d’évaluation. Mais depuis que les premiers tests de l’OCDE ont secoué brutalement cette bonne conscience, révélant les difficultés de lecture des écoliers suisses, les exercices de ce genre se sont multipliés. Au point que le système scolaire suisse semble frappé d’«évaluationnite» aiguë.
PISA continuera à scruter tous les trois ans les aptitudes des enfants en fin de scolarité obligatoire. Dès 2015, ces épreuves internationales se feront sur un échantillon réduit aux exigences de base, alors que la Suisse se flattait jusqu’alors de tester un bien plus grand nombre d’élèves. Mais il n’y aura rien de perdu, bien au contraire: la Conférence suisse des directeurs de l’Instruction publique (CDIP) a défini entre-temps, avec HarmoS, des compétences fondamentales à atteindre au terme des trois cycles scolaires, qu’il est donc logique de tester. Juste avant les vacances d’été, la CDIP a fixé le calendrier de ces épreuves d’un nouveau type. La toute première aura lieu en 2016: entre 6000 et 7000 élèves de 15 ans, formant un échantillon représentatif, seront testés en maths. Deux ans plus tard, on sondera les capacités en langues étrangères de la volée terminant le second cycle primaire.
Les cantons ne sont pas en reste. L’école demeurant leur chasse gardée, comment pourraient-ils ne pas avoir leurs tests maison? Ils ont multiplié ces dernières années les épreuves de référence, qui permettent de contrôler toute une classe d’âge dans une ou plusieurs branches. Les cantons francophones, qui se flattent d’être en avance sur les alémaniques en cette matière, envisagent d’introduire dans les prochaines années des épreuves romandes communes. Ce qui est aussi parfaitement logique, depuis qu’ils sont parvenus à mettre sur pied un Plan d’études romand (PER).
Examens PISA, tests de référence HarmoS, épreuves cantonales de référence et épreuves romandes communes à venir, qui dit mieux? «C’est vrai, c’est beaucoup trop!» admet la Jurassienne Elisabeth Baume-Schneider, présidente sortante de la Conférence latine de l’Instruction publique. La ministre socialiste imagine qu’un allégement pourrait venir des cantons, qui sacrifieraient les épreuves cantonales au profit de l’œuvre commune. Mais elle voit bien que cela ne sera pas aisé: les cantons qui disposent d’équipes de chercheurs richement dotées planchant déjà sur ces épreuves ne sont pas forcément prêts à tout lâcher pour des voisins qui n’ont pas les mêmes moyens.
En y regardant de plus près, ces futures épreuves romandes communes semblent tourner au casse-tête. Une question dépassant les experts est remontée aux chefs de département, qui n’ont pas encore voulu trancher, explique Viridiana Marc, qui travaille à l’élaboration de modèles d’examens communs: les épreuves romandes doivent-elles ou non avoir un rôle dans la promotion et la sélection des élèves? Alors que des cantons comme Berne ou le Jura s’y refusent, Genève et Vaud ont inscrit ces épreuves dans la loi, avec leur «visée sommative», pour reprendre le jargon pédagogique.
Un autre souci retient les ministres: le risque que les informations issues des épreuves communes puissent être publiées. «Nous sommes tous contre les rankings; il n’est pas question d’utiliser ces épreuves pour classer les établissements ou, pire encore, les enseignants», souligne Elisabeth Baume Schneider, précisant qu’elle ne connaît pas elle-même les résultats par école des épreuves jurassiennes. Les responsables romands de l’école ne veulent pas que la publicité faite à de tels classements – mettant par exemple en évidence le lien entre population socioculturelle et résultats – relance le débat sur le libre choix de l’école. Or, de telles informations pourraient être exigibles au nom de la loi sur la transparence, dans certains cantons en tout cas.
Regretterait-on d’avoir inscrit ces épreuves communes dans la Convention scolaire romande? Elisabeth Baume-Schneider ne va pas jusque-là mais admet qu’on avait sous-estimé la complexité de la mise en œuvre. Le milieu des enseignants se montre très réservé face à ce goût croissant pour les statistiques et les courbes, dans lequel il voit un manque de confiance dans les enseignants. «On risque de ne plus travailler que pour les épreuves de référence, critique Georges Pasquier, président du Syndicat des enseignants romands (SER). Mais ce n’est pas avec ces tests papier-crayon qu’on peut évaluer l’autonomie des élèves, qu’on nous demande aussi de développer.» Reste une inconnue: avec le prochain départ du Genevois Charles Beer et de la Fribourgeoise Isabelle Chassot, avec l’arrivée récente de la Neuchâteloise Monika Maire-Hefti et du Valaisan Oskar Freysinger – lequel se démarque déjà tel un électron libre – quatre des sept patrons romands de l’Instruction publique seront nouveaux. Leur aptitude pour l’évaluation, la comparaison et la transparence reste à démontrer."
Par Yelmarc Roulet, Le Temps.